La condition animale: stratégies discursives et représentations (Appel à contribution)
La condition animale : stratégies discursives et représentations
Le 10ème numéro de la revue Traits-d’Union se propose d’étudier les discours et contre-discours relatifs à la condition animale. Quelles stratégies discursives favorisent la sensibilisation à la protection animale et le changement des modes d’alimentation et de consommation ? Comment fonctionnent les oppositions qu’ils rencontrent ? Il s’agira de mettre en évidence les lieux argumentatifs sur lesquels ils reposent, ainsi que les divers outils rhétoriques et ressorts affectifs qu’ils mobilisent pour œuvrer à la construction et déconstruction des représentations.
Cet appel s’adresse prioritairement aux jeunes chercheurs, doctorants et docteurs depuis cinq ans maximum, en lettres, arts, sciences humaines et sociales. Les propositions sont attendues pour le 14 janvier 2019. Les contributeurs peuvent participer à la journée d’étude qui aura lieu le 25 mai 2019 et/ou au numéro destiné à publication.
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Dans les années 70, en anticipant le fait que la souffrance animale deviendrait l’une des principales questions du XXIème siècle, Peter Singer mettait au jour une gageure à laquelle les générations présentes se trouvent confrontées : la condition animale. Comment concilier nos modes de vie avec les convictions éthiques, politiques et écologiques actuelles, questionnements qui surgissent, entre autres, en raison des ressources limitées de notre planète et de l’évolution philosophique et éthique de notre pensée rationnelle ?
À la suite de Singer, d’autres chercheurs se sont consacrés à la question, nous livrant un matériel remarquable pour (re)penser non seulement l’industrie alimentaire et le modèle mercantile qui le régit, mais aussi notre mode de vie, notre héritage culturel et ses discours implicites. Depuis la parution d’Animal libération, les études sur la condition animale invitent à questionner notre conceptualisation du vivant et de nos actions, aussi bien sur le plan collectif qu’individuel. Si la cause animale s’affirme comme un enjeu majeur de l’ère contemporaine, elle s’inscrit aussi dans un héritage déjà ancien, qu’on peut faire remonter jusqu’à Plutarque et Porphyre. Comme le souligne Jacques Derrida dans L’animal que donc je suis (2006), la confrontation homme-animal donne à voir une subordination infligée et nous oblige à remettre en cause la part humaine et animale en nous, tout comme en l’autre, la « bête ».
Dans cette perspective, la subordination et l’exploitation d’un « être vivant doué de sensibilité », selon la définition que donne l’Assemblée nationale en 2015 de l’animal, entraînerait une pratique violente qui se banalise, du point de vue des mouvements en faveur de la protection animale, pour devenir la règle des relations socio-économiques. De la pratique rituelle à celle de l’abattage industriel, que ce soit en vertu de la notion religieuse du sacrifice ou par la logique du marché capitaliste, la violence est légitimée par un discours pérenne. L’aspect éthique et moral qui traverse inexorablement la relation homme/animal s’estomperait-il au fil de l’histoire pour s’effacer presque entièrement de l’opinion publique et se retirer du discours politique afin que les consommateurs jouissent de la subordination animale sans mauvaise conscience ?
Les stratégies du marketing jouent un rôle capital dans ce détachement : elles œuvrent à l’oubli de l’animal dans nos assiettes et, par là, rendent distante une violence pourtant très proche du consommateur. A cet effet, le long travail de Florence Burgat s’avère essentiel et son livre, L’humanité carnivore, est devenu une référence incontournable pour penser l’institution de l’alimentation carnée. Sous un autre angle, les travaux d’Eric Baratay et Michel Pastoureau abordent la condition animale de façon novatrice : ils cherchent à rendre aux animaux une véritable place dans l’histoire en montrant comment leurs rôles sociaux et leurs représentations symboliques relèvent avant tout de l’idéologie politique et religieuse des hommes aux différentes époques. Ces brefs exemples issus de plusieurs disciplines permettent de comprendre que raviver la discussion autour de notre relation avec les animaux suppose une remise en cause systématique de l’humanité avec ou face à l’animalité et, comme le dit Corine Pelluchon, de « ce que nous sommes devenus au fil des siècles » (2017).
Dans le cadre de ce numéro, il ne s’agira pas tant toutefois de discuter de la représentation et de la mise en discours de la condition animale elle-même que d’examiner la manière dont les défenseurs de la protection animale recourent à la littérature, aux arts et aux outils médiatiques pour mieux convaincre et diffuser leurs idées, et les contre-discours que ces prises de positions entraînent. Deux volets majeurs ont été retenus pour articuler la réflexion :
- La représentation de la cause animale dans la littérature, les arts et les médias
Nous proposons de constituer et d’examiner un corpus d’œuvres engagées en faveur de la cause animale, du véganisme et de l’antispécisme. Comment la littérature, les arts, les productions télévisées, les médias et plus globalement le transmédia / transmedia storytelling s’emparent-ils de ces questionnements éthiques et politiques ? Quelles sont les modalités de leur engagement ? Quels outils littéraires, artistiques et discursifs ont-ils à leur disposition ?
En littérature, on renverra particulièrement aux romans tels que ceux d’Yves Bichat (La Part animale, 1994), Eric Chevillard (Sans l’orang-outan, 2007), ou encore les récentes publications de Vincent Message (Défaite des maîtres et possesseurs, 2017) et Camille Brunel (La Guérilla des animaux, 2018). La littérature jeunesse semble également constituer un canal majeur de sensibilisation à la protection animale, dans la mesure où elle met en scène des personnages zoomorphes et attribue souvent aux enfants le rôle de porte-voix des intérêts animaux. Peut-on observer des évolutions dans les discours à destination de la jeunesse à travers des parutions telles que celles de Jean-Baptiste Del Amo (Comme toi, 2017) ou de Jean-Claude Mourlevat (Jefferson, 2018) ?
Concernant le cinéma et la télévision, un grand nombre d’œuvres fictionnelles ou documentaires peuvent nourrir la réflexion, parmi lesquelles Le Sang des bêtes (George Fanju, 1949), Bovin (Emmanuel Gras, 2012), Gorge, cœur, ventre (Maud Alpi, 2016), Grave (Julie Ducournau, 2016), sans négliger des productions telles que Okja (Joon-Ho Bong, 2017) ou encore L’Odyssée de Pi (Ang Lee, 2012). L’étude de l’œuvre de Camille Brunel, Le Cinéma des animaux (octobre 2018), permet de dégager un très large corpus de films relevant de ce qu’il appelle le « cinéma vegan » ou susceptibles d’être perçus sous cet angle.
Dans cet axe, sont également souhaitées des études portant sur des œuvres issues des champs artistiques les plus variés, telles que celles de Jana Sterback, Bartabas, Laetitia Dosch.
Notons enfin qu’il est tout à fait possible de proposer des relectures d’œuvres antérieures, afin de déterminer en quoi elles favorisent, ou non, la sensibilisation à la cause animale, et dans quelle mesure les concepts qui émergent depuis les années 70 sont opérants pour les comprendre.
- Les stratégies de communication des discours militants et de leurs opposants
Cet axe se consacre à l’analyse des discours militants en faveur de la cause animale, ainsi qu’à ceux de leurs opposants. Centré sur leurs stratégies de communication, il invite à mobiliser aussi bien des outils linguistiques, rhétoriques et pragmatiques, que l’analyse des médias.
Le discours des militants s’accompagne d’une réflexion poussée sur la manière de sensibiliser le grand public et les représentants institutionnels à la cause animale. Il s’agit pour eux de répondre à un scepticisme, voire à une hostilité manifeste, dont les motivations mêlent le biologique, le politique et la morale. Ils doivent aussi faire face au dénigrement ironique de la cause elle-même, sinon de ses défenseurs. Dans son manifeste pour la Veggie Pride de 2011, David Olivier nomme « végéphobie » la pression sociale anti-végétarienne, et signale qu’elle peut prendre des formes variées, de la dérision à la haine. Quels lieux argumentatifs, quels outils rhétoriques et quels ressorts affectifs construisent ces discours ?
La stratégie de diffusion des idées par les militants suppose un apprentissage de l’art du débat, que celui-ci se déroule entre experts ou qu’il surgisse de manière impromptue dans la vie quotidienne (Yves Bonnardel et Sara Fergé, 2011). L’humour et la pédagogie constituent des ressources souvent privilégiées (Rosa B., 2015), mais la culpabilisation et le recours à l’action choc en sont d’autres, dont on peut questionner l’efficacité (Tobias Leenaeart, 2017).
Dans cet axe, il conviendrait aussi d’envisager un rapprochement avec les stratégies communicationnelles des luttes contre les autres subordinations. Le véganisme tire-t-il par exemple bénéfice de l’expérience du féminisme pour s’imposer dans les débats ? Comment le lexique d’identification des formes de subordination circule-t-il entre les différentes causes ? À quelles fins peuvent-elles être mises en concurrence ?
Soucieux d’une observation précise des usages de la langue, nous souhaitons également accueillir des contributions linguistiques portant sur le rapport entre langage et éthique, et sur la manière dont les langues donnent corps aux enjeux politiques du rapport entre homme et animalité. L’association « 269 Life Libération animale » propose par exemple de nommer « réfugiés » les bovins et les volailles qu’elle « exfiltre ». Comment les représentations ontologiques et le positionnement éthique influencent-ils le langage ?
En outre, cet axe appelle au moins deux types de prolongements. Le premier porte sur l’usage et la légitimité de la violence, qui se trouve dans les images de maltraitance animale, telles que celles diffusées par l’association « L214 », mais également dans les actions directes des militants. Ceux-ci, d’une part, s’engagent jusqu’à enfreindre la loi, et, d’autre part, recourent aux performances et aux happenings, parfois de manière délibérément choquante. De quelles violences s’agit-il ici ? Le concept d’écoterrorisme est-il pertinent pour les comprendre et quels enjeux politiques recouvrent-ils ? Quelle est la part de mise en scène théâtralisée dans ces actions militantes ?
Le second prolongement possible concerne la diffusion du végétarisme par l’industrie et le marketing. L’apparition des produits végétariens et vegan sur les cartes de restaurant et dans les rayons des supermarchés a contribué à une visibilisation de la cause animale, notamment parce que le végétarisme répond à des préoccupations écologiques et diététiques. Dans quelle mesure cette promotion commerciale favorise-t-elle la sensibilisation à l’éthique animale ? Peut-on parler d’une tendance « veggie friendly » ou des prémices d’un « veg washing », comme on a pu observer un « green washing » ? Que disent ces stratégies commerciales de la représentation de la clientèle visée ? Quelle place occupe l’éthique et la sensibilité à la souffrance dans cette promotion commerciale du végétarisme ? Ces stratégies marketing consistent souvent à imiter les produits de l’alimentation carnée et à s’en approprier le vocabulaire (« steak de soja », « burger veggie », etc.). De ce point de vue, quel est précisément ce végétarisme promu par le marché et quelle vision de l’alimentation et du rapport entre les vivants a-t-il à proposer ?
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Merci d’envoyer vos contributions à l’adresse contact@revuetraitsdunion.org au plus tard le 14 janvier 2019, en précisant si vous souhaitez participer à la journée d’étude du 25 mai 2019 et/ou au 10èmenuméro de la revue, et en joignant :
- votre proposition de contribution de 3000 signes maximum, espaces compris
- une courte bio-bibliographie, qui précise clairement votre université et votre laboratoire de rattachement, ainsi que la date de votre soutenance le cas échéant.
Date limite pour envoi des propositions : 14 janvier 2019
Réponse aux auteurs : avant le 14 février 2019
Journée d’étude : 25 mai 2019
Date limite pour envoi des articles : 27 mai 2019
Traits-d’Union est une revue transdisciplinaire qui favorise la publication de jeunes chercheurs en lettres et sciences humaines. Nous publions des articles en langues, littératures et philosophie, en sciences du langage, en arts et médias, en histoire, anthropologie et sociologie.
Comité de rédaction : Marija Apostolovic, Fanny Auzéau, Nadia Bacor, Eve Benhamou, Myriam Boulin, Alice Burrows, Emilie Cheyroux, Marion Coste, Priscilla Coutinho, Baptiste Mongis, Justine Le Floc’h, Gianna Schmitter, Antonino Sorci, Anne Sweet, Aliette Ventéjoux.
Bibliographie
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