Appel à candidatures : « Les animaux en ethnographie », MNHN, Paris | Date limite : 30 avril 2019
Lien officiel de l’annonce : https://calenda.org/581599?lang=en
Organisation
- Société d’ethnologie française,
- Muséum National d’Histoire Naturelle,
- UMR PALOC,
- UMR Triangle
- Fondation Adrienne et Pierre Sommer
Argumentaire
La prise en compte des animaux dans les sciences humaines et sociales a longtemps fait figure de contre-sens tant, dans « l’ontologie naturaliste » occidentale (Descola, 2005), la frontière entre nature et culture semblait étanche. Si les animaux sont « présents » en anthropologie dès les origines de la discipline, c’est principalement dans une perspective anthropocentrée qu’ils ont été envisagés, en tant que partenaires, ressources, outils ou attributs permettant de caractériser les cultures humaines (Manceron, 2016). Pourtant, l’évolution des relations entre humain.e.s et animaux, marquées par « l’ambivalence » (Burton-Jeangros, Gouabault, 2002), a progressivement entraîné une renégociation des frontières entre les deux catégories (Despret, 2012 ; Dubied, Gerber, Fall, 2012 ; Camos et al., 2009). De même, le « tournant animal » (Delon, 2015) auquel on assiste dans une partie du monde académique conduit à de nouvelles façons de se saisir des animaux et de leurs relations avec les humain.e.s (Laugrand, Cros, Bondaz, 2015). Dans leur introduction à un récent numéro de la revue Lectures anthropologiques consacré aux animaux, Vincent Leblan et Mélanie Roustan observent ainsi qu’ « un changement de contexte intellectuel, scientifique et moral semble avoir modifié le centre de gravité de la place de l’homme sur terre et, avec lui, l’équilibre de ses relations aux animaux » (Leblan, Roustan, 2017 : 1).
Dans ce contexte se développent, en sociologie et en anthropologie, des recherches visant à analyser les relations anthropozoologiques (Bekoff, 2007 ; Michalon, Doré, Mondémé, 2016) au sein de « communautés hybrides » (Lestel, 2001, 2008), en s’attachant à décrire aussi bien les comportements des humain.e.s que ceux des animaux dans les interactions entre les deux groupes (voir notamment Piette, 2002 ; Mondémé, 2013 ; Vicart, 2014 ; Marchina, 2015, Leblan, 2017). En d’autres termes, ces travaux, dont certains sont fondés sur des enquêtes ethnographiques multi-espèces (Hurn, 2019 ; Smart, 2014 ; Kirksey, Helmreich, 2010), ne se contentent pas d’appréhender les animaux comme des « objets modelés par les sociétés humaines » mais analysent « leur part active dans les dynamiques sociales » (Michalon, 2018). Par ailleurs, si l’étude des comportements animaux relève traditionnellement de l’éthologie, des chercheur.e.s en sciences humaines et sociales s’en emparent à leur tour et réfléchissent aux façons d’articuler les méthodes de l’enquête ethnographique avec celles de l’éthologie dans cet objectif (Latour, Strum, 1986 ; Joulian, 2000 ; Kohler, 2012 ; Lescureux, 2006 ; Lestel, Brunois, Gaunet, 2006 ; Guillo, 2009 ; Servais, 2012, 2016 ; Louchart, 2017).
Questionnements méthodologiques
Ces approches, qui accordent une nouvelle place aux animaux dans l’ethnographie, posent de nombreux défis épistémologiques et méthodologiques que ce colloque a pour ambition d’explorer : comment ethnographier les « existants » (Descola, 2005), humain.e.s et non-humain.e.s ? Est-il possible de se départir de l’anthropocentrisme pour analyser le « point de vue » (Baratay, 2012) des animaux dans l’étude de leurs relations avec les humain.e.s ? A quelles conditions une « ethnographie multi-espèces » est-elle réalisable ? Et quelles approches méthodologiques peuvent-elles permettre une ethnographie des animaux ? Quelles collaborations peuvent-elles être envisagées entre les sciences sociales et les sciences du vivant dans cet objectif ? Quelles sont les spécificités de la relation d’enquête, lorsque les enquêté.e.s ne sont pas humain.e.s (Kohler, 2012 ; Leblan, Roustan, 2017 ; Jankowski, 2011) ?
Un des objectifs principaux de ce colloque est ainsi de réunir des communications issues d’enquêtes ethnographiques, quelle que soit l’appartenance disciplinaire des chercheur.e.s, qui s’empareront des questions de méthode liées à la thématique de l’animal en ethnographie. Il pourra s’agir d’enquêtes ethnographiques multispécifiques étudiant les interactions entre humain.e.s et animaux dans une perspective symétrique (Latour, 1991) ou consacrées à l’étude de communautés animales. A titre d’exemples, les propositions de communications pourront provenir d’enquêtes menées sur les situations de « travail » (Porcher, 2011 ; Porcher & Schmitt, 2010), « d’exploitation », de « domesticité » ou de « commodification ». Les contextes pourront ainsi inclure les animaux dits « de rente »[1] et ceux « de compagnie » (Blanchard, 2014 ; Podberscek, Paul, Serpell, 2000 ; Alger, 1999), mais également les sports canins ou équins (Chevalier, 2018 ; Wendling, 2017, 2018), les chiens-guides (Mouret, 2015) et animaux utilisés en médiation animale (Franklin, Emmison, Haraway, Travers, 2007 ; Servais, 2007 ; Michalon, 2014), les animaux utilisés en laboratoires (Rémy, 2009), les « collections vivantes » des parcs zoologiques (Estebanez, 2011 ; Servais, 2012 ; Bondaz, 2014), les oiseaux sentinelles (Keck, 2010) ou encore les pratiques de chasse (Safonova, Santha, 2013 ; Baticle, 2007), le cirque, la corrida (Saumade, 1998 ; Saumade et Maudet, 2014 ; Combessie, 2017) etc. On pourra aussi s’intéresser aux animaux « liminaires »[2] (Blanc, 2009 ; Gramaglia, 2003 ; Mougenot, Roussel, 2006) ou « sauvages », et sur les relations entretenues avec les humain.e.s dans ces contextes. Les communications pourront également interroger l’importance de ces différentes catégories dans les pratiques de recherche.
Enjeux éthiques
L’étude des animaux et celle des relations anthropozoologiques interrogent également les postures éthiques des ethnographes et leur influence sur la pratique ethnographique. A côté de recherches sans prétentions normatives s’est constitué, particulièrement dans les pays anglo-saxons, un courant des animal studies lequel, au même titre que d’autres courants des cultural studies (gender studies, disability studies etc.), est traversé par une importante dimension critique en faveur d’une approche éthique des animaux et de leurs intérêts (Nibert, 2003 ; Burgat, 2006 ; Waldau, 2013). Les recherches développées au sein de ce courant interdisciplinaire ont pour objectif commun de se départir de l’approche anthropocentrée qui a longtemps caractérisé l’étude des relations avec les animaux, au profit d’une approche zoocentrée reconnaissant les animaux comme des sujets moraux (Franklin, 1999), agents de leur propre existence et de leurs relations avec les humain.e.s (Donaldson, Kymlicka, 2011). Une partie des chercheur.e.s de ce courant revendiquent une filiation avec la pensée antispéciste et la théorie de la libération animale du philosophe australien Peter Singer (1975) et affirment un engagement politique en faveur de l’abolition de l’exploitation des animaux. Se pose alors, de façon parfois conflictuelle, la question de l’équilibre des relations entre sciences sociales et cause animale (Kopnina, 2017), entre démarche scientifique et engagement politique en faveur des droits des animaux (Regan, 1983), que ce colloque entend discuter à partir de communications de chercheur.e.s proposant une analyse réflexive de leur propre travail de positionnement (Candea, 2010).
En effet, le monde académique français est traversé par des tensions idéologiques autour de ces questions (Michalon, 2017, 2018) qui font écho à la politisation grandissante de la société sur la condition animale. Face à ces enjeux, comment les ethnographes sont-ils/elles incité.e.s à se positionner ? Comment l’engagement, ou le refus de s’engager, des chercheur.e.s influence-t-il le rapport au terrain et aux enquêté.e.s, humain.e.s et non-humain.e.s ? Comment ethnographier les relations anthropozoologiques dans ces situations de fortes tensions morales ?
Enquêter sur l’éthique animale
Les propositions de communications pourront également être issues de recherches portant sur les terrains où la condition des animaux est discutée. On peut penser aux mouvements pro-animaux (végane/antispéciste / animalistes) (Dubreuil, 2009 ; Turina, 2010 ; Traïni, 2012 ; Véron, 2016 ; Carrié, 2018), anti-chasse, de défense du loup, de l’ours etc., mais également aux associations de chasse (Dalla Bernardina, 2017), de pêche (Gramaglia, 2008 ; Roux, 2007), aux comités d’éthique relatifs à l’expérimentation animale (Larrère, 2002), aux mobilisations des éleveurs contre le retour des loups (Doré, 2011, 2015 ; Martin, 2012, Campion-Vincent, 2002) etc. Les animaux étant le plus souvent absents de ces terrains, il ne s’agira vraisemblablement pas ici d’ethnographie multi-espèces. Cependant, ces terrains constituent des lieux importants de production de discours et de débats sur les animaux et leur(s) place(s) au sein de la société (Manceron, Roué, 2009). Ils sont tout autant de sites où l’éthique animale (au sens large) prend corps, dans des actions collectives, des dynamiques discursives et interactionnelles. Il s’agirait dès lors d’enquêter sur l’éthique animale « en train de se faire », en observant la manière dont les animaux sont représentés (politiquement et scientifiquement) par les humain.e.s et comment leur parole est construite et portée publiquement (Carrié, 2015). Enfin, ces mouvements se déployant de manière importante sur les réseaux sociaux, les communications provenant d’enquêtes incluant des ethnographies numériques seront les bienvenues.
Modalités de communication
Les communications pourront être données en français ou en anglais. Les propositions, d’un volume d’approximativement 5000 signes, devront être rédigées dans l’une de ces deux langues et envoyées le 30 avril 2019 au plus tard à lucie.nayak@yahoo.fr et k.lennes@hotmail.fr.
L’évaluation en double aveugle donnera lieu à réponse courant juin 2019.
Le colloque se poursuivra par une publication : soumission d’un manuscrit à une revue (numéro thématique) ou à une maison d’édition (ouvrage collectif).